TROISIEME PERIODE:
LA MATURITE (1902 jusque vers 1910)(89)
«Martin Melsen! C’est un solide celui-là!
Et qui ne mâche pas ses coups de brosse.
Un bon bougre eût dit le divin Marat.»
Edmond Picard, 1907
Melsen avait donc eu besoin de sept années (de 1895 à 1902) pour se libérer du ‘joug académique’, exactement le même nombre d’années qui l’avaient formé à l’Académie de Bruxelles de 1888 à 1895. Dans une interview de 1933 il témoigne:
«Je ne suis pas un révolutionnaire, mais toutefois je crois qu’une académie peut faire beaucoup de tort. Elle jugule la personnalité, impose des lignes à suivre pour toute une vie, est un point de rencontre de clichés, n’aiguise pas la vision originale, ne fait que suivre une seule direction, une école, alors que celle-ci est déjà morte depuis longtemps. L’art reste une affaire d’individu. La première chose qu’on puisse exiger d’un artiste est son honnêteté. On travaille trop pour plaire. Chercher à faire étrange est également une manière négative de chercher la flatterie. Or, dès sa sortie de l’académie, un peintre devrait en fait pouvoir s’appuyer sur un manager intelligent, tout comme un champion de boxe. L’artiste semble bien impuissant dans la vie matérielle. Au niveau spirituel, l’artiste doit guider le peuple. Celui-ci suit malgré tout et bien que lentement, le bien comme le mal.»90
Baccaert décrit cette lutte pour se défaire de l’académisme:
«Ce qui frappe d’emblée dans son œuvre, était sa recherche de libération. Il veut se faire une place, mais sent qu’il faut pour cela d’abord être quelqu’un. Sa formation de peintre ne correspondait pas à sa nature qu’il doit nourrir en travaillant dur et de manière totalement dévouée. Désormais il consacrera sa vie entière à s’adapter à l’environnement qu’il s’est choisi. Jour après jour, il se rapproche des gens de la région.»91
BOERENBONDSVERGADERING |
Vers 1902 Melsen semble avoir trouvé un équilibre: en mai 1902 il participe au Salon de la Société des Artistes Français, qui se tient chaque année au Grand Palais des Champs-Elysées à Paris. Il leur envoie l’œuvre la plus expressive qu’il ait jusqu’ici réalisée:
Réunion d’agriculteurs (Boerenbondsvergadering, 1902, ill.) une aquarelle représentant un intérieur de café chaleureux avec une foule de figures, un paysan avec un képi de travers, somnolant, un autre endormi, étalé sur deux chaises, l’idiot du village avec la braguette ouverte entonnant une chansonnette, deux bambins du coin, des affiches de vente à la criée au mur. Bref, une œuvre faisant preuve autant d’authenticité et d’humour que de perfection technique. Son talent de dessinateur s’est à présent entièrement épanoui: Octave Maus et Léonce du Câtillon attribuent à cette œuvre une qualité magistrale. Melsen met cette occasion à profit pour visiter Paris. Le jeune homme sportif se prépare bien et fait le voyage à vélo de Bruxelles à Paris, où il loge à l’hôtel. Il retrouve sans doute quelques amis amateurs d’art au Salon, où sont bien sûr représentées les tendances de l’époque, du néo-impressionnisme au pointillisme en passant par le symbolisme préraphaélite et le naturalisme. De musée en musée il admire les grands maîtres français et italiens. A la fin de 1903 Melsen reçoit l’occasion d’organiser sa première exposition individuelle: on l’invite à exposer au Cercle Artistique et Littéraire à Bruxelles. D’éminents critiques d’art comme Camille Lemonnier, Edmond Picard, Octave Maus, Paul Colin et Pol de Mont y font l’éloge de son œuvre, même si le côté caricatural n’échappe pas toujours à la critique. |
Son œuvre devient plus mature, avec de puissants coups de pinceaux et de truelle, d’épaisses couches d’huile et une assurance inébranlable dans la composition. Il semble que les imperfections techniques aient disparues:
«Il a beaucoup amélioré sa manière depuis le précédent Salon. Ses incorrections de dessin, ses négligences sont devenues plus rares, son coup de brosse plus habile, sans qu’il ait rien perdu de sa verve coloriste et primesautière. Un dessin rehaussé représentant une scène paysanne est presque complète.»92
«Il acquiert, dans son domaine, une remarquable force d’expression, il a plus d’acuité qu’auparavant.»93
Jean de la Senne trouve le Melsen de 1902 «très en progrès.»(94) Ailleurs nous lisons dans la presse:
«L’interprétation de Melsen, toujours personnelle, tend à se faire plus véridique. L’exagération des aspects caricaturaux disparaît et les dernières productions sont d’un sain observateur et d’un vibrant coloriste.»95
«Ses croquis décèlent un crayon habile et sûr. La mise en page de ses dessins prouve aussi qu’il peut travailler en se méfiant de ses admirations. Cependant son
paysage lui indique la route à suivre, il y a là une certaine envolée et une hardiesse peu commune.»96
«Espérons que Martin Melsen saura, de même, conserver son coloris puissant et sa superbe vision du
Paysan; cela nous est garanti par sa façon d’esquisser endiablée et pleine de verve.»97
Eekhoud persiste cependant à avoir du mal à accepter ses caricatures:
«Je souhaiterais qu’il choisisse des types au visage moins laid et aux formes moins rudes: surtout parce que la belle race n’est pas ce qui y manque. Il suffit d’y visiter quelques fermes et d’observer les filles solides au teint vif – ou d’assister à Capellen et à Hoevenen à la gare ferroviaire au départ ou l’arrivée des jeunes et turbulents travailleurs de la terre ou arrimeurs – lesdits hommes et main d’œuvre des polders, qui allaient tous les jours travailler à Anvers. J’espère alors que monsieur Melsen se mettra à peindre ces gaillards-là. On a trop tendance à considérer nos paysans à travers les lunettes de la caricature, surtout lorsqu’ils sont dès leur prime jeunesse habitués à travailler en plein air, les seuls types d’hommes qu’on puisse comparer aux héros de l’Antiquité grecque et de la Renaissance.»98
Melsen immortalise à présent le paysan dans toutes les variantes de ses faits et gestes, avec tout l’humour et l’ironie propre au Bruxellois. Cependant, certains restent imperméables au détail narratif, même s’il s’avère que la représentation de chaque détail ou le manquement symbolique soit devenue une qualité de la peinture contemporaine:
«Les qualités que nous louons chez Maurice Nykerk se retrouvent, assez déformées par un penchant à la caricature, dans les tableaux de Melsen. Mais nous avouons être peu enthousiastes de cette tendance à la spécialisation à outrance qui caractérise toute la peinture moderne. L’art, paraît-il, s’est orienté
vers la vie. C’est un peu comme qui dirait l’application du microscope aux beaux-arts; le
type n’existe plus, en revanche, nous voyons partout de scrupuleuses analyses des moindres manies, des moindres tics de l’individu. C’est donc le côté drôle, caricatural des paysans flamands qui requiert surtout Melsen. Et il le rend parfois d’une façon très spirituelle. Nous avons principalement retenu le geste du rustre ivre qui chante dans l’estaminet. Jan Steen ne l’aurait pas mieux saisi.»99
En fait, le critique ne livre ni plus ni moins qu’une description d’un élément de base du naturalisme. Plus tard Paul van Ostayen décrit la caricature comme un élément typique de l’époque(100).
Alors qu’il habite et travaille à Stabroek, Melsen fait des virées dans les environs et dans les provinces avoisinantes – de la Zélande à Maastricht -, d’habitude en vélo, afin de trouver l’inspiration pour son travail. Durant les mois d’hiver et pendant la période d’exposition, il réside normalement à Bruxelles, où il loge chez sa famille ou chez des amis. Pendant les premières années du XXe siècle, il visite régulièrement les salons annuels des autres cercles artistiques bruxellois (tels que
Le Sillon, La Libre Esthetique, Vie & Lumière), où il se tient au courant des mouvements musicaux et littéraires en vogue à l’époque. Le compositeur Paul Gilson lui demandera sur place de trouver des mélodies populaires pour orchestrer le théâtre de Eekhoud. Auguste de Boeck lui procurera également – à part des tickets d’entrée pour les opéras qu’il compose – une jeune petite amie (qui deviendra plus tard l’épouse de Melsen). Le compositeur Jef van Hoof lui demande d’illustrer des chansons. L’homme de lettre Pol de Mont – qui deviendra conservateur de musée – demande à Melsen de livrer un commentaire sur ses dessins. Son ami de l’Académie, Joseph Vanneck – plus tard architecte en chef de Bruxelles Expo 1935 – lui rend visite et dort alors dans l’alcôve de Melsen, tout comme les poètes Willem Gijssels, Raphaël Verhulst, et Victor de la Montagne, ou l’artiste peintre L.-G. Cambier dont on enduisait la figure au charbon, lorsqu’il n’arrivait pas à sortir du lit; tous disent que Martin n’était jamais en reste d’une pointe d’humour.
Melsen entame aussi des voyages, entre autres à La Haye, à Amsterdam, en Allemagne, et vers 1905 en Suisse et en Italie. Il entretient et reçoit une correspondance abondante, et collectionne des cartes postales avec des illustrations des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art rencontrés dans les musées: en voyage, il se les envoie à son propre domicile. Une carte postale en couleur, une nouveauté à l’époque, était une façon de s’instruire et était moins chère que des livres d’art, encore assez rares à l’époque.
Melsen est à présent considéré comme le maître des tableaux de la vie
paysanne. Il crée des chefs-d’œuvre que Du Câtillon qualifie en 1902 de ‘pétillants de la vraie vie et de couleur’, comme dans
La Kermesse au hameau (1903, ill.), un grand tableau dans lequel il a repris la composition de Steen ou Teniers. Il continue aussi de travailler à un autoportrait très original,
Chez le peintre (1904) où l’on voit le peintre debout – en sabots – entouré de jeunes petits paysans, dont certains admirent le tableau placé sur le chevalet.
AVOND BIJ DE BOEREN |
Pour l’Exposition universelle de Liège en 1905, il envoie une gouache Soir chez les paysans qui représente une famille de paysans rassemblée autour d’un poêle de Louvain, sous l’éclairage d’une lampe à huile qui renvoie des ombres quelque peu effrayantes sur le mur. L’œuvre est couronnée et lui vaut une médaille de bronze. D’importants collectionneurs privés belges achètent l’œuvre de Melsen, tel que l’éditeur Yvan Lamberty, le parlementaire Jules Destrée, le dr. Jules Thiriar, le décorateur François Franck, l’homme d’affaires anversois Frédéric Speth, le brasseur déjà cité François van Haelen et l’industriel Emile Boch. Melsen comptait également les conservateurs de musée Fierens-Gevaert et De Mont parmi ses collectionneurs, ainsi que les sénateurs Coppieters, Van den Nest et Picard. |
Après avoir au préalable réalisé plusieurs études, il peint Enfants dans un verger (achevé en 1905, ill.). Le recours au luminisme lui a peut-être été inspiré par les expositions du cercle artistique impressionniste
Vie et Lumière, dont Emile Claus et Jenny Montigny étaient membres. Il entame aussi l’œuvre très naturaliste, presque stoïque
Le laboureur et sa famille (environ 1903-05, ill. par une ancienne photo en noir et blanc) représentant une famille de paysans marchant en enfilade à travers les champs après la messe du dimanche. Cette œuvre majeure ne manque pas d’impressionner Edmond Picard; il compare la famille de paysans à une harde de sangliers: «Le sanglier, la sanglière et les marcassins._Morceaux terribles et attirants,
peintures d’Idées.» Melsen exposera cette œuvre à diverses reprises, entre autres en 1908 à la
Sezession à Berlin(101).
Dans son enthousiasme, Picard invite Melsen à son importante exposition d’été au Kursaal d’Ostende en 1907, le
Salon des Beaux-Arts d’Ostende. La presse écrit à cette occasion:
«Martin Melsen, si aimé du public, a envoyé un stock de ses impressions pleines d’humour campinois.»102
Melsen y participe avec pas moins de 12 peintures, et vend, pour 800 francs, une œuvre au Musée de la même ville, qui menait alors une politique d’achat active afin d’appuyer son image de la cité balnéaire mieux connue comme ‘La Reine des
Plages’(103).
Il y expose entre autres les nouveaux tableaux suivants: Les trois frères à la barrière (1907, ill.), représentant des figures qui s’appuient contre une barrière en devisant sur leurs animaux; Il expose également
Les trois compères (ou La politique d’auberge, 1907, ill.), où trois figures, parmi lesquelles un garde forestier muni d’un fusil, semblent en conversation dans un intérieur de café. Ces nouvelles œuvres sont pures, expressives, accomplies:
«Ces scènes, brossées en pleine pâte, bouillonnent de la vie de ces gens grands et épais, ces propriétaires d’une terre grasse et argileuse, faite d’alluvions. Quelque chose du sol et de la chair, de tout ce jus et de cette vie fertile a imprégné la palette du peintre, ses taches de couleur sont richement étalées et son coup de pinceau est exubérant et lapidaire, parfois tortueux et tassé, à l’image de ces gaillards espiègles.»104
En octobre 1907 Melsen participe pour la dernière fois à l’exposition annuelle du cercle Labeur, qui arrête ses activités artistiques. Lors de cette dernière exposition, qui eut lieu comme d’habitude au Musée Moderne de Bruxelles, six membres avaient donné leur démission et furent remplacés par six artistes hollandais, tous membres de l’Ecole de La Haye: F. Arntzenius, Isaac Israëls, les frères Roelofs et Maurice Nykerk. Melsen est ainsi en contact direct avec ses confrères hollandais, dont le style se montre parfois apparenté au sien.
Le vide laissé par la dissolution du cercle Labeur est bientôt comblé. Tandis que certains ex-membres du
Labeur se dirigent vers La Libre Esthétique, Melsen exposera à partir de 1908 dans le nouveau cercle artistique bruxellois
Doe Stil Voort, fondé sur l’initiative du poète Willem Gijssels. Ils tiennent leurs expositions et conférences à la Vlaams Huis à Bruxelles. Il recevra des envois de Eugène Laermans et de Jakob Smits, comme des peintres étrangers tels que Piet Mondriaan.
En 1910 Hellens est déçu par l’absence d’originalité dans le cercle Doe Stil Voort:
«Ils ne font preuve d’aucun effort d’interprétation personnelle. Même M. Martin Melsen, le mieux doué d’entre eux, qui possède un sens éveillé du pittoresque, n’échappe pas à cette lourdeur de touche qui mêle les bruns bitumeux aux noirs opaques. C’est un artiste plébéien, soit, mais il l’est, il faut bien l’avouer, avec un esprit un peu trop adéquat; en tous cas, ses débuts faisaient présager mieux que ce qu’il donne ici. En réformant son métier, il pourrait sans doute produire à l’avenir une œuvre très remarquable.»105
En 1909 il peint, dans une technique mixte, l’œuvre très expressive et brueghelienne,
A une kermesse (Les fêtards du village) (Dorpsboemelaars, 1909, ill.), représentant deux personnages saouls aux corps étirés et courbes, dotés de vraies trognes qui bredouillent entre eux. Melsen, qui s’est à présent fait un nom et qui a la cote, commence à réaliser des répliques de ses thèmes populaires. A part ses études préparatoires, ses projets et ses carnets de croquis, l’héritage personnel de l’artiste n’a donc laissé que peu d’œuvres importantes datant de sa première période. Il arrive que Melsen séjourne à cette époque chez ses confrères, désignés plus tard sous le nom de ‘fauvistes brabançons’ (Louis Thévenet, Auguste Oleffe, Léandre Grandmoulin..) et qui avaient trouvé un mécène en la personne du brasseur ucclois François van Haelen. Melsen entraîne ‘Sus’ van Haelen aux expositions pour l’initier et aider Van Haelen à se constituer une collection d’art. Celle-ci, qui compte de nombreuses œuvres de Thévenet et d’Ensor, ainsi que trois œuvres de Melsen, deviendra une des collections d’art les plus importantes de Belgique. Cette collection a été exposée à plusieurs reprises, entre autres à Uccle en 1924. |
DORPSBOEMELAARS |
Des critiques renommés jugent Melsen pendant cette période – l’artiste a entre 35 et 40 ans – prometteur. Dans un long article consacré à Melsen, Fassotte voit en lui le peintre le plus humoristique de toute la peinture moderne:
«Voilà une bizarrerie de l’école de peinture hollandaise, ou plutôt du peuple hollandais, qu’elle ait exprimé sa nature paysanne en des images de couleurs de la façon la plus parfaite. La gaieté saine est une qualité nationale, or, dans la forme la plus appropriée à l’exprimer, la littérature, cette gaieté n’apparaît pas dans ces formes parfaites qui pourraient la hisser au rang de trésor mondial d’œuvre artistique originale. En revanche, nos petits maîtres paysans du seizième siècle, Jan Steen, Van Ostade, Teniers, et même déjà Jordaens, Bruegel d’une époque antérieure appartenaient à l’art mondial, car ils avaient à offrir ce qu’aucune autre école artistique ne présentait.
Et voilà qu’un bonhomme, avec une vision renaissante vient témoigner que notre nature populaire n’a pas perdu ce moyen d’expression. D’un œil moderne, sous une lumière moderne, les fleurs fanées sont ravivées, comme si le pressentiment de cette renaissance n’était pas née. N’est-ce pas là ce qu’il y a de remarquable, que ce peintre offre le privilège d’être honoré comme un élément prometteur avant d’avoir atteint la maturité? Je ne prétends pas de manière dogmatique qu’il soit le seul à laisser pressentir une telle promesse et qu’on ne décèle pas de-ci, de-là un trait d’amusement chez les pères arborant un sourire. Quoiqu’il soit incontestablement le plus synthétique et le plus amusant (…) l’exposition montre aussi des œuvres sérieuses. Ceci ne distinguera cependant pas Melsen de toute une série de peintres méritoires, tandis que son autre œuvre représente un enrichissement de notre trésor mondial.»106
Ce critique ne semble pas être le seul à en avoir marre du réalisme social dans l’art et à aspirer à quelque chose de plus rafraîchissant et léger:
«Il semble qu’il s’agisse du mal d’aujourd’hui. Schopenhauer et le pessimisme triomphent et leur influence ne se ressent pas seulement dans la poésie, mais aussi dans d’autres expressions de la vie spirituelle. Notre école de peinture est atteinte de ce mal, et nous, Flamands qui sommes, de par notre nature, moins enclins à être tristes, nous nous laissons séduire (...) C’est donc un véritable plaisir pour nous d’accueillir une exception, et après avoir vu les scènes tristes de Laermans et ses éternels parias de la société, de reposer notre regard sur les créations de Martin Melsen, le Bruegel moderne, le Teniers du XXe siècle ou d’admirer la nature, copiée de manière si magistrale par Emile Claus. Ceux qui disposent de la compétence et du droit, devraient s’en soucier, et réagir afin de ramener notre peuple d’artistes vers les anciennes traditions d’antan, qui ont fait sa renommée.»107
Melsen est donc devenu un naturaliste optimiste, contrairement au courant en vigueur. Ici réside justement sa grande originalité. «Melsen est le peintre populaire le plus sain, le plus joyeux et le plus touchant que nous ayons eu depuis les grands réalistes.»(108)
Nonobstant le fait qu’il s’agisse d’art populaire à part entière, Karel van de Woestijne persiste à voir le citadin dans l’œuvre de Melsen, qui observe
d’en haut, ce qui le distingue de quelqu’un comme l’écrivain flamand Stijn Streuvels, qu’il juge
proche de son sujet:
«Melsen habite la campagne, à Stabroek. Il y vit entouré de fermiers, et comme un fermier. Lui, né Bruxellois, ancien rapin de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, ancien élève du classique et aimable Stallaert, y a tout laissé du citadin: mœurs, manières, vêtements, et dirait-on, esprit. Il se fond parmi les paysans et parmi les paysans il peint. Il a renoncé à la ville. Elle lui est devenue étrangère, en apparence.
Et pourtant, bon sang ne saurait mentir. Quoiqu’il fasse et quoiqu’il s’imagine: Martin Melsen est un ‘déraciné’. Ses paysans, quand bien même il les aime, quand bien même il se les approprie: il continue de les voir à travers des yeux de citadin... Ô, je sais bien: si un jour il lisait ceci, il en serait indigné. Il jurerait ses grands dieux qu’il n’y a rien qu’il déteste autant, que le citadin qui se mélange parmi les paysans. Je connais ce sentiment: j’ai vécu moi-même trop longtemps à la campagne, également parmi les paysans, pour ne pas le comprendre. Mais je vous le redis: l’assimilation complète est impossible: le Bruxellois ne peut voir le natif de Stabroek qu’avec un regard de Bruxellois. Et là réside justement la force, la personnalité, la beauté joviale et ironique de Martin Melsen, Bruxellois malgré lui...»109
4. LE LUMINISME |
NOTES
89 Dans des études précédentes, j’ai appelé cette période la caricature, or, cette caractéristique vaut également pour d’autres périodes. Suite à une étude approfondie, je préfère appeler cette période la période de maturité.
90 Anon., ‘Interview’, 1933 op. cit.
91 Baccaert 1915, op. cit. p. 163.
92 Anon., ‘Le Salon du Cercle Labeur’. in: Le Petit Bleu du Matin, 8 octobre 1902, p. 1.
93 P.S. ‘Chronique Artistique.Le Labeur’. in: Le Thyrse, 15 octobre 1902, p. 96.
94 De la Senne Jean, ‘Cinquième salon du Labeur.’ in: La Ligue Artistique, 18 octobre 1902, p. 5.
95 G.S. ‘Le Salon du Labeur (musée moderne).’ in: Le XXe siècle, Bruxelles, 16 octobre 1903.
96 Georges Eugène,’ Le Lierre.’ in: La Libre Critique, 3 novembre 1901, pp. 127-128.
97 De la Senne Jean, ‘Le Labeur.’ in: La Ligue Artistique, 18 octobre 1901, 8ième année nr. 20, p. 1.
98 Eekhoud Georges, ‘Tentoonstelling van den kunstkring Labeur.’ in: Onze Kunst, 1903, p. 166.
99 P.S., ‘Chronique Artistique. Le Labeur.’ in: Le Thyrse, 1 novembre 1901, p. 101.
100 Van Ostayen Paul, ‘Marten Melsen.’ in: Ons Land, 4e Année nr. 39, 26 janvier 1917, p. 2.
101 Nous ne connaissons cette œuvre qu’à travers une ill. en noir et blanc. Lieu de conservation actuel inconnu. Environ dix ans plus tard, Melsen en réalise une réplique (ou des retouches importantes à la première?), cette fois avec un chien noir, et des couleurs plus luministes (coll. Van Riel).
102 Baes Edgar, ‘L’Exposition d’Ostende.’ in: La Fédération Artistique, 14 juillet 1907, p. 316.
103 Comparable au salaire annuel d’un secrétaire de direction de l’époque. Le conservateur Henri Permeke fit à la même exposition l’acquisition d’une œuvre de James Ensor, de 10 ans plus âgé, au prix de 1500 francs.
104 Eekhoud Georges, ‘Kunstberichten uit Brussel.’ in: Onze Kunst 1907, 6e Année nr. 6, p. 278.
105 Hellens Franz, ‘Le VIe Salon du Cercle Doe Stil Voort.’ in: L’Art Moderne, 14 août 1910.
106 Fassotte Joris, ‘Marten Melsen.’ in: De Vrije Tribune, 20 avril 1907.
107 De Bock J., in: Vlaamsche Gazet van Brussel, 12 mars 1902.
108 Du Câtillon Léonce, 1903.
109 Van de Woestijne Karel, ‘Marten Melsen.’, in: Nieuwe Rotterdamse Courant, 10 avril 1911.